Maître de conférences en sciences de l’information et de la communication (Crem, Université de Lorraine).
Si vous ne possédez pas le réseau social, c’est lui qui vous possède.
Pendant que les multi-milliardaires américains du numérique assument sans complexe leur soutien aux projets politiques les plus réactionnaires. Pendant que d’aucun‧e‧s recommandent doctement de créer un “Airbus” du numérique. ( /sarcasme Car c’est bien connu les avions Airbus émettent moins de GES que les Boing, donc nos géants du numérique seront moins toxiques, c’est sûr.)
Le créateur de Mastodon, lui, entérine la session de son bébé à une organisation européenne à but non lucratif.
Le fact-checking n’est pas un sujet à mes yeux. J’écrivais ce matin sur Mastodon :
Face à la surcharge informationnelle, les fact-checker eux-mêmes doutent de la pertinence de la tâche. On ne peut pas exercer son esprit critique face à un tel flot d’informations.
On ne peut pas vérifier chaque info affichée sur un flux de réseau social qui les décontextualise toutes et y mêle blagues, militantisme, approximations et interprétations personnelles.
Dans cet écosystème informationnel, expliquer le modèle des plateformes devient central pour l’éducation aux médias et à l’information.
Une fois compris que tout est fait pour capter notre attention, il me semble que le seul choix raisonnable serait d’en sortir et de faire autrement.
Je te rejoins complètement pour estimer que le fruit est pourri à la racine par son design toxique. Ce qui m’inquiète c’est que, lorsqu’on parle de quitter Facebook ou X, on cherche tout de même des “alternatives à” qui leur ressemblent.
Je vois surtout passer des réactions outrées face à l’abandon du fact-checking. C’est bien dommage, car ce n’est pas le plus inquiétant dans les déclarations de Zuckerberg. Mais le fait que les grandes plateformes tombent le masque est peut être un bien. Peut-être va-t-on cesser de croire que les réguler et éduquer les “jeunes” suffira à s’en protéger ?
Musk a démontré qu’une plateforme de microblogging était un média à part entière. Il a au moins le mérite de l’assumer alors que les démocrates américains, les progressistes et notre gauche-écologiste-et-sociale à la française auraient pu l’anticiper de longue date s’ils n’étaient pas addict aux tweets. C’est effarant de constater que notre personnel politique prétendument de gauche commente encore tout “sur X” comme si les journalistes ne pouvaient pas suivre et sourcer leurs déclarations ailleurs que sur ce réseau.
On peut envisager un avenir dans lequel le parti Républicain américain et autres droites populistes privilégieront X, tandis que les démocrates US et autres partis “progressistes” plus centraux dans le monde passeront par Bluesky ou par Threads… Quant à la “vraie” gauche transformatrice, elle devrait en toute logique investir Mastodon (un peu de cohérence que diable !).
On gagnerait en pluralisme dans la recommandation de contenus et on en terminerait enfin avec ce mythe qui avait fait de Twitter l’alpha et l’omega du débat public. Comme s’il était sain que l’ensemble des sensibilités politiques s’affrontent dans une arène unique dont les règles valorisent les saillies acerbes face à l’argumentation, au débat de fond, à la construction d’une opinion éclairée. Un paysage du microblogging pluriel est préférable : dans l’ancien monde, le fait que des politiques s’expriment de préférence dans Le Monde, Libération ou Le Figaro (et pas sur un média hégémonique) garantissait le débat public. Les politiques peuvent tout aussi bien s’exprimer sur des plateformes numériques différentes sur lesquelles ils et elles débattent avec les personnes qui se sentent plus proches de leurs idées sous l’œil des journalistes à même de témoigner, d’analyser et de mettre les idées en débat.
Évidemment, dans un monde idéal, cette activité s’organiserait sur des instances interopérables du Fediverse plutôt qu’entre des plateformes plus ou moins centralisées et dépendantes de leurs actionnaires. Mais je doute que les droites populistes, les conservateurs ou mêmes les progressistes y soient prêts. C’est la raison pour laquelle je distingue les forces transformatrices qui ne rêvent pas de révolution (=extrême gauche), mais cherchent à impulser des transformations radicales mais nécessaires, compatibles avec les limites planétaires.
On retrouve le profil des “Smart-Climato-complot” de l’enquête de Parlons Climat sur les climatosceptiques en France :
Tout comme dans les cortèges britanniques ou aux USA, ces mâles alpha bousculés dans leurs valeurs sont accompagnés par des hommes plus jeunes (moins de 35 ans) et plus politisés.
Je relève que les 45-64 ans sont les seuls à avoir voté en majorité pour Trump. Or, il s’agit de la même classe d’âge que les émeutiers racistes qui s’étaient illustrés au Royaume Uni il y à quelques mois sous l’influence de la désinformation : https://theconversation.com/pourquoi-tant-de-quadras-et-de-quinquas-parmi-les-emeutiers-au-royaume-uni-236352
Extrait :
Interrogé sur son outil préféré dans le domaine de l’IA, Hinton a dit qu’il était un fervent utilisateur de ChatGPT, tout en admettant qu’il était préoccupé par les répercussions de cette technologie.
« Dans les mêmes circonstances, je referais la même chose (sa recherche, NDLR). Mais je crains que la conséquence globale de tout cela ne soit des systèmes plus intelligents que nous qui finissent par prendre le contrôle », a ajouté le chercheur.
Grâce à leurs travaux, l’humanité a maintenant un nouvel instrument dans sa boîte à outils, « que nous pouvons choisir d’utiliser à de bonnes fins », a souligné le comité.
La manière dont ces travaux seront utilisés à l’avenir dépendra « de la manière dont nous, les humains, choisirons d’utiliser ces outils incroyablement puissants, déjà présents dans de nombreux aspects de nos vies ».
Décernés depuis 1901, les prix Nobel distinguent les personnes qui ont œuvré pour « le bienfait de l’humanité », conformément au vœu de leur créateur, l’inventeur suédois Alfred Nobel.
Quand un père des IA génératives et le comité du Nobel pataugent en plein impensé numérique : peurs irrationnelles, promesses de bienfaits hypothétiques, prophéties autoréalisatrices. Ou comment affirmer “en creux” la puissance des techniques, tout en empêchant toute discussion politique sur les valeurs et les objectifs qui les portent.
Tant que l’on développera des techniques sans les adosser à des connaissances quant à leur place et leur impact dans les sociétés, on ne devrait pas parler de technologie.
Jusque là, il fallait s’inquiéter de la puissance exponentielle de quelques grandes firmes du numérique, acquise grâce à leur réussit économique sur le marché de la publicité.
Désormais éclate au grand jour l’influence des géants du numérique sur notre espace public. Là où les milliardaires français s’offrent des journaux, les américains s’offrent des médias sociaux numériques.
Face à cela, la réponse ne peut pas venir du capitalisme, elle ne peut pas venir de startup européennes qui seraient gouvernées par l’argent. Les invités reconnaissent l’importance d’une régulation, mais insistent sur la nécessité de penser en termes de “communs” soutenus par les services publics.